Emil CIORAN
- Ne se suicident que les optimistes, les optimistes qui ne
peuvent plus l'être.
- La tristesse : un appétit qu'aucun malheur ne rassasie.
- Je donnerais tous les paysages du monde pour celui de mon
enfance.
- L'art d'aimer ? C'est savoir joindre à un tempérament de
vampire la discrétion d'une anémone.
- Dans les épreuves cruciales, la cigarette nous est d'une aide
plus efficace que les Évangiles.
- La sainteté me fait frémir : cette ingérence dans les
malheurs d'autrui, cette barbarie de la charité, cette pitié
sans scrupules...
- Chacun croit, d'une façon inconsciente s'entend, qu'il
poursuit seul la vérité, que les autres sont incapables de la
rechercher et indignes de l'atteindre. Cette folie est si
enracinée et si utile, qu'il est impossible de se représenter
ce qu'il adviendrait de chacun de nous, si elle disparaissait un
jour.
- Vivre, c'est perdre du terrain.
- La seule chose qu'on devrait apprendre aux jeunes est qu'il n'y
a rien, mettons presque rien, à attendre de la vie. On rêve d'un
Tableau des Déceptions où figureraient tous les mécomptes
réservés à chacun, et qu'on afficherait dans les écoles.
- La chose la plus difficile n'est pas de s'attaquer à une de
ces grandes questions insolubles mais bien d'adresser à quelqu'un
un petit mot délicat où tout est dit et rien.
- Il y a du charlatan dans quiconque triomphe en quelque domaine
que ce soit.
- La preuve qu'un acte généreux est contre nature, c'est qu'il
suscite, parfois immédiatement, parfois des mois ou des années
après, un malaise qu'on n'ose avouer à personne, même pas à
soi-même.
- Il arrive un moment où on n'imite plus que soi.
- Sur le plan spirituel, toute douleur est une chance ; sur le plan spirituel seulement.
- Le fait que j'existe prouve que le monde n'a pas de sens.
- C'est le propre de la douleur de n'avoir pas honte de se répéter.
- Que nous le voulions ou non, nous sommes tous des psychanalystes, amateurs de mystère du cur et du caleçon, scaphandriers des horreurs.
- Pour l'anxieux, il n'existe pas de différence entre succès et fiasco. Sa réaction à l'égard de l'un et de l'autre est la même. Les deux le dérangent également.
- Une seule chose importe : apprendre à être perdant.
- C'est une grande force, et une grande chance, que de pouvoir vivre sans ambition aucune. Je m'y astreins. Mais le fait de m'y astreindre participe encore à l'ambition.
- Mon mérite n'est pas d'être totalement inefficace, mais de m'être voulu tel.
- Le plaisir de se calomnier vaut de beaucoup celui d'être calomnié.
- Tout succès est infamant : on ne s'en remet jamais, à ses propres yeux, s'entend.
- La seule manière de supporter revers après revers est d'aimer même l'idée de revers. Si on y parvient, plus de surprises : on est supérieur à tout ce qui arrive, on est une victime invincible.
- Condition indispensable à l'accomplissement spirituel : avoir toujours mal misé.
- Marcher dans une forêt entre deux haies de fougères transfigurées par l'automne, c'est cela un triomphe. Que sont à côté suffrages et ovations ?
- Je ne connais personne de plus inutile et de plus inutilisable que moi.
- Le bonheur et le malheur me rendent également malheureux. Pourquoi alors m'arrive-t-il de préférer le premier ?
- Nous sommes tous des farceurs : nous survivons à nos problèmes.
- Allez vingt minutes dans un cimetière et vous allez voir que votre chagrin ne sera pas certes éteint, mais presque dépassé... Si vous avez la conscience du néant, tout ce qui vous arrive garde ses proportions normales et ne prend pas les proportions démentes qui caractérisent l'exagération du désespoir.
- N'a de convictions que celui qui n'a rien approfondi.
- La lucidité, c'est avoir des sensations à la troisième personne.
- Tout persécute nos idées, à commencer par notre cerveau.
- Le monde est un enfer, chaque instant est un miracle.